Grand-Béréby, avril 2022. Au port de pêche artisanale, situé à mi-chemin entre la célèbre baie des sirènes et l’embouchure où l’Océan se mêle à la rivière Nero, les nouvelles semblent bonnes pour les femmes de la coopérative de pêche Decothy.
Assises dans le magasin de la coopérative, la Présidente et son équipe ont entamé il y a quelques mois une coopération avec l’ONG Conservation des Espèces Marines (CEM), une organisation qui s’est donnée pour objectif de protéger les écosystèmes côtiers et marins, y compris les mangroves, les estuaires et embouchures de fleuves et rivières ; et de renforcer l’implication des communautés locales dans la conservation et le développement durable.
L’ONG, déjà active à Grand-Béréby depuis 1990, est à l’origine d’un projet de création de la première aire marine protégée de Côte d’Ivoire, gérée par les communautés côtières. En ligne avec son objectif de favoriser l’implication des communautés côtières dans la gestion durable des ressources maritimes de la région, la CEM travaille avec la coopérative en vue de renforcer les capacités des femmes, pour un développement durable et inclusif, avec une participation égale des femmes et des hommes aux niveaux décisionnels. Dans le cadre du projet, l’ONG met actuellement en place une chambre froide solaire avec fabrique de glace ainsi qu’un camion frigorifique pour le transport du poisson.
C’est une excellente nouvelle pour les membres de la coopérative de Grand-Béréby. Avant, ses membres se tournaient vers Abidjan pour vendre leur production. Aujourd’hui, ils voient davantage de potentiel dans la commercialisation au niveau de la région.
Ces infrastructures sont attendues avec impatience par les acteurs du secteur, d’autant plus que la coopérative ressent de plus en plus la rareté de la ressource, conséquence selon Jean-Jacques, Secrétaire Général de la coopérative Decothy, du non-respect de mesures de conservation. « Ici, les pêcheurs pêchent toute l’année, sans respecter le respect biologique » dit Jean-Jacques. « Si nous continuons comme ça, nous allons droit à la catastrophe ».
Avant, il y avait des langoustes à foison. D’août à décembre, avec un pic en novembre, puis en mars-avril, les langoustes étaient débarquées en larges quantités au port. « On ne savait même pas quoi en faire. On disait aux pêcheurs de ne pas en débarquer, car il y avait déjà un excédent sur le marché », continue Jean-Jacques. Ça, c’était autrefois, car aujourd’hui la saison commence plus tard, de la mi-septembre jusqu’à la première semaine de décembre. En mars-avril, les langoustes ne viennent à présent qu’en petites quantités.
Aujourd’hui, la situation est bien différente. Les débarquements sont de moins en moins importants et la tentation est grande de fermer les yeux sur certaines mesures visant à garantir la préservation de la ressource, à commencer par les captures des langoustes femelles pendant la période de reproduction. La pêche de langoustes femelles porteuses, clairement identifiables grâce aux milliers d’œufs qu’elles gardent sous l’abdomen, est puni par la loi n°2016 du 26 juillet 2016. Si la tentation d’enfreindre la loi est grande, les sanctions possibles pour les pêcheurs sont également très lourdes, bien que les décrets d’application des amendes prévues par la loi n’aient pas encore été publiés.
Même tableau pour le reste des produits de pêche. Avant, les femmes restaient juste à l’extérieur du marché. Elles n’avaient qu’à faire quelques mètres pour acheter le poisson et préparer le repas à tout moment, qu’elles vendaient ensuite sur le marché. Ce n’est plus possible. Maintenant, les débarquements se font essentiellement à partir du jeudi jusqu’au samedi.
Le projet de mise en place d’une aire marine protégée par la CEM est crucial pour une gestion raisonnée des ressources naturelles. En commençant la sensibilisation des pêcheurs. Un axe que l’ONG CEM suit depuis les années 1990, quand ils ont commencé à sensibiliser les communautés côtières de protéger les tortues marines. La pêche, consommation et vente de la chaire de tortues était pratiquée dans tous les villages sur le littoral de la région. Aujourd’hui, les pêcheurs participent à leur conservation.
L’enjeu de sensibilisation et d’information des pêcheurs sur les mesures de protection de la ressource est vaste. Ceux-ci expliquent qu’ils ne reçoivent ni conseil ni information des autorités compétentes sur les techniques durables de pêche comme par exemple sur les différents types de filet ou les périodes de repos biologique des espèces à respecter, bien qu’ils soient invités à s’acquitter de leurs droits de pêches et autorisations ainsi que des taxes qui sont liées à l’activité.
Crise COVID-19 et pertes post-captures, double peine pour la coopérative de Grand-Béréby
Double peine, les pêcheurs et les femmes de la coopérative ont également été très affectés sévèrement par la pandémie du COVID. En raison de la fermeture du Grand-Abidjan, les caisses de langoustes sont restées coincées hors de la ville, pour une perte de 300 kg de langoustes par semaine sur 3 mois. A raison de 4000 XOF le kilo, revenu à l’expédition à au moins 9000 XOF le kilo, les pertes estimées atteignent les 2 700 000 XOF.
La crise COVID-19 a mis plus que jamais en relief l’importance de renforcer les capacités des acteurs de Grand-Béréby à être plus résilients en cas de choc. Avoir un conteneur frigorifique sur place, c’est une chance d’augmenter les revenus des femmes mareyeuses, de préserver la ressource et de limiter les pertes post-récoltes. Du moins une partie, car les pertes post captures commencent en mer. Puisque la ressource se fait plus rare, les embarcations partent plus loin, augmentant ainsi le risque que le poisson se gâte en route. Un cercle vicieux auquel les infrastructures mises en place grâce à la CEM et la sensibilisation pourraient apporter un début de solution. « Les pertes poste-captures sont vraiment énormes, tant dans le poisson que les langoustes. Les boules de glace que font les ménages pour les vendre sont moins résistantes étant donné que les pêcheurs partent à partir de lundi pour ne revenir que les vendredis ou samedis. C’est donc évident que la glace ne tiendra pas longtemps », explique Jean-Jacques.
Du point de vue de l’USCOFEP-CI, ce projet permettra également d’atteindre des résultats plus larges. Bien que la coopérative Decothy, membre de l’Union, soit le principal partenaire de la CEM sur le terrain, ce projet doit bénéficier à toutes les femmes mareyeuses. « Nous espérons que par cela, d’autres mareyeuses adhèrent à l’Union en voyant les bénéfices d’en devenir membre », a déclaré Micheline Dion, Présidente de l’USCOFEP-CI, qui fait régulièrement le déplacement sur le site pour suivre l’avancement du projet. Le projet prévoit aussi un axe de promotion de la bonne gouvernance, avec l’objectif de renforcer la cohésion au sein de la coopérative. « Les membres de la coopérative commencent à payer leurs cotisations, ce n’était pas le cas avant », indique la Présidente.
La mise en place de ce conteneur est une avancée tant pour les acteurs du secteur que pour la préservation de nos ressources. Nous l’USCOFEP-CI, avons besoin de l’appui de tous les acteurs engagés en faveur d’une pêche artisanale durable et inclusive pour avancer et concrétiser notre vision, à Grand-Béréby et dans toutes les communautés de pêche sur le territoire national.